Un homme ou une femme nu entre , du rideau de tulle au fond de la scène , il fait 8 pas , et il fait demi - tour , et il fait 8 pas , et il sort ou - il fait demi - tour , et il fait 8 pas , et il fait demi - tour , et il fait 8 pas , et il sort ou - il fait demi - tour , et il fait 8 pas , et -
Il n ' y a rien dans ce spectacle , ou si peu de choses . C ' est toujours pareil . Et pourtant ça fait une demi - heure , peut - être plus , que je regarde , fascinée -
il entre , et il fait 8 pas , et il fait demi - tour , et il fait 8 pas , et il sort ou - il fait demi - tour , et il fait 8 pas , et -
Un changement , ou une variation plutôt s ' est produite . Certains forment des groupes de 2 , de 3 , même de 10 ,
ils entrent , et ils font 8 pas , et ils font demi - tour , et ils font 8 pas , et ils sortent ou -
mais ils sortent toujours en même temps . Comment c ' est possible ? Ils comptent dans leur tête ? Certains font des 10aines de rondes , c ' est impossible . C ' est impossible mais c ' est réalisé , là , devant mes yeux ,
ils entrent , et ils font 8 pas , et ils font demi - tour , et -
Maintenant c ' est encore différent . C ' est ... -
Noir et silence . La panne électrique quoi . Une vraie panne , je l ' apprendrai plus tard . Une panne de théâtre , évidemment . Le technicien lumières lance : " Mais quel con ce mec ! " . Il en fait trop . Et puis les coups , comme si on courait dans les escaliers du théâtre , ça fait faux , ces coups qui nous entourent comme des tuyaux métalliques qui s ' entrechoqueraient . Et si il y avait le feu au théâtre ? Hé bien on nous le dirait et on sortirait . Mais si on ne nous disait pas qu ' on ne pouvait pas sortir ? C ' est impossible , il y a des sorties partout , et même j ' ai déjà vu que le fond de la scène peut s ' ouvrir en grand sur l ' extérieur . Oui c ' est impossible , mais si c ' était impossible et qu ' on était bloqué par les flammes ?
" Fred ! " . Je bondis . Ca vient de derrière moi , c ' est la voix d ' un homme perdu , acculé , qui voit sa dernière heure arriver . Je me retourne . Un homme a rejoint le technicien lumières , ils cherchent à rétablir la lumière .
Je ne réagis pas comme d ' habitude , je m ' en rends bien compte . J ' ai été hypnotisée par la pièce , - ça ne m ' était jamais arrivé , -
Le son reprend , la lumière revient , sur scène les acteurs ont bougé depuis tout à l ' heure , il y a un charnier , un charnier mouvant , ou peut - être , plutôt , un nid de cloportes , avec leur démarche mal assurée , et cette façon qu ' ils ont de se passer les uns sur les autres sans y prêter attention , oui un nid de cloportes , des cloportes - humains , qui disparaissent au fond de la scène derrière le rideau de tulle .
Puis c ' est une fête toute en transes , un homme qui court autour du plateau , et court autour du plateau , et court autour du plateau et court , et court , et court et court et court - jusqu ' à tomber écrasé sur le sol . Les acteurs se lèvent un à un et sortent du plateau , c ' est bientôt son tour , mais il est épuisé , son ventre se gonfle et s ' applatit démesurément , il reste 4 acteurs assis , 3 acteurs assis , 2 acteurs assis , juste à temps il a repris assez de forces , à son tour il se lève et sort du plateau .
Non ce n ' est pas un rêve , encore moins un cauchemar . Oui c ' est mon souvenir de la pièce " Tragédie " d ' Olivier Dubois , à la Rose des Vents